Robert Waldinger tedx bonheur happiness mindfulness relationsEn novembre 2015, lors d’une conférence TEDx, Robert Waldinger a révélé l’aboutissement d’une longue, d’une très longue étude. Pendant 75 ans, des chercheurs de la prestigieuse Harvard Medical School ont suivi à la loupe le quotidien de 724 hommes.

Alors que, généralement, les études de cet acabit s’arrêtent au bout d’une dizaine d’années, faute de moyens, ici pas moins de quatre directeurs d’étude se sont succédés depuis 1938 pour mener à bien les recherches.

La chaire sur le « développement de l’adulte » (Study of Adult Development) de l’université a passé au crible tous les aspects de la vie des participants. À intervalles réguliers, les scientifiques ont méticuleusement interrogé les patients sur leur travail, leur famille et leur santé.

Ils ont réalisé des analyses de sang, des scanners des cerveaux et sont même allés jusqu’à autopsier les participants décédés. Peu à peu, ils ont accumulé un corpus de ressources sans précédent, et ce dans un seul but : trouver le secret du bonheur.

Pour en savoir plus sur ce que la pleine conscience peut apporter à votre vie.

(La transcription intégrale de cette intervention se trouve à la fin de l’article, en français)

Un travail titanesque

Le projet original était ambitieux, tant au niveau des fins que des moyens. Pour maximiser les chances de découvrir le facteur bonheur, les participants ont été choisi selon des critères sociodémographiques.

Quelque 268 hommes de type caucasien ont été sélectionnés au sein de la promotion 1939-1944 de l’université de Harvard. Moyenne d’âge de l’échantillon : 19 ans. Parmi eux, un certain John Fitzgerald Kennedy qui deviendra le 35e président des États-Unis quelques années plus tard… L’autre partie du panel a été choisie dans les quartiers pauvres de Boston. Ils avaient cette fois-ci entre 11 et 16 ans.

Choisir ainsi deux milieux sociaux diamétralement opposés permettait d’isoler les facteurs psychologiques et biologiques ayant un impact sur la santé et le bien-être à tous les âges de la vie. Les chercheurs, en véritables détectives, ont scruté la vie de ces hommes, récupérant leurs dossiers médicaux, analysant leur sang, parlant à leurs enfants et à leurs femmes pour suivre leur évolution.

Pour être heureux, connectez-vous à votre entourage

Trois quarts de siècle se sont écoulés depuis le début de l’étude. Le premier constat est manichéen : les relations humaines sont excellentes pour le bien-être tandis que la solitude tue. L’expérience montre que les individus les plus connectés à leur famille, à leurs amis et à leur cercle social sont non seulement plus heureux mais aussi en meilleure santé.

À l’inverse, les personnes isolées sont moins heureuses et leur état de santé décline en milieu de vie tout comme leurs capacités cognitives. Les personnes seules mourraient aussi plus jeunes.

La deuxième conclusion, c’est que, pour être heureux, la qualité des relations prévaut sur la quantité. D’ailleurs, mieux vaut être seul que mal accompagné. Ainsi, la santé des participants qui ont vécu une situation de conflit (un mariage difficile par exemple) était en moyenne moins bonne que celle des autres. De même, un divorce serait moins nocif pour la santé qu’une relation insatisfaisante.

Bénéfiques pour le corps, les relations sont également bénéfiques… pour le cerveau ! Une personne investie dans une relation sécurisante aurait les idées claires plus longtemps. Et par sécurisante, on n’entend pas nécessairement un quotidien sans orages et sans disputes – elles sont même normales et saines – mais les couples octogénaires dont chacune des parties sait qu’elle pourra compter sur l’autre en cas de coup dur ont une mémoire plus performante que les autres.

Bien que la portée de l’étude soit impressionnante, elle reste pour le moment exclusivement masculine. Seuls 60 des 724 participants initiaux sont encore en vie. La deuxième génération de l’étude débute actuellement avec leur enfants, filles comme garçons cette fois.

Il sera donc possible de déterminer si le bonheur est conditionné par l’éducation et les parents. Affaire à suivre attentivement.

Transcription de l’intervention en français :

00:11Qu’est ce qui nous garde en bonne santé et heureux tout le long de notre vie ? Si vous deviez investir, maintenant, dans la future meilleure version de vous-même, dans quoi mettriez-vous votre temps et votre énergie ? Il y a eu un sondage récemment sur la Génération Y leur demandant quel était le but le plus important dans leur vie et plus de 80% ont répondu qu’un but de vie important pour eux était de devenir riche. Et 50% de ces mêmes jeunes adultes ont répondu qu’un objectif de vie important était de devenir célèbre.

00:49(Rires)

00:51Et on nous dit constamment de nous mettre au travail, de travailler plus dur, et d’accomplir plus. On nous fait croire que ces choses sont celles que l’on doit poursuivre pour réussir sa vie. Des portraits de vies entières, des choix que les gens font et comment ces choix marchent pour eux, ces portraits sont presque impossibles à obtenir. La majorité de ce que nous savons sur la vie humaine, nous l’apprenons en demandant à des gens de se souvenir du passé et comme on le sait, c’est loin d’être 100% fiable. On oublie une grande partie de ce qui nous arrive dans la vie, et parfois la mémoire est franchement créative.

01:35Mais, et si on pouvait regarder des vies entières alors qu’elles se déroulent au cours du temps ? Et si on pouvait étudier les gens depuis leur adolescence jusqu’à leurs vieilles années pour voir vraiment ce qui maintient les gens heureux et en forme ?

01:54On l’a fait. L’étude d’Harvard sur le Développement adulte est peut-être la plus longue étude sur la vie adulte jamais réalisée. Pendant 75 ans, nous avons suivi les vies de 724 hommes, année après année,s’enquérant de leur travail, de leur vie de famille, de leur santé, et bien sûr les questionner tout du longsans savoir comment leurs vies allaient tourner.

02:24Des études comme celle-là sont extrêmement rares. Presque tous les projets de ce genre tombent à l’eau en moins d’une décennie, parce que trop de gens abandonnent l’étude, ou le financement de la recherche s’arrête, ou les chercheurs passent à autre chose, ou ils meurent, et personne ne prend le relais. Mais grâce à une combinaison de chance et de la tenacité de plusieurs générations de chercheurs,cette étude a survécu. Environ 60 des 724 hommes originaux sont toujours en vie, participant toujours à l’étude, la plupart ayant dépassé les 90 ans. Et nous commençons maintenant à étudier les quelques 2000 enfants de ces hommes. Et je suis le quatrième directeur de l’étude.

03:14Depuis 1938, nous avons suivi les vies de deux groupes d’hommes. Le premier groupe est entré dans l’étude alors qu’ils étaient en deuxième année à Harvard. Tous ont fini l’université pendant la Seconde Guerre Mondiale, et puis la plupart sont partis servir dans l’armée. Et le deuxième groupe que nous avons suivi était un groupe de garçons du quartier le plus pauvre de Boston, des garçons qui étaient choisis pour l’étude spécialement parce qu’ils venaient des familles les plus en difficulté et les plus désavantagées du Boston des années 30. La plupart ont vécu dans des HLM, beaucoup sans eau courante.

03:53Quand ils sont entrés dans l’étude, tous ces adolescents ont été interviewés. On leur a fait passer des examens médicaux. On est allé chez eux et on a interviewé leurs parents. Et puis ces adolescents ont grandi et sont devenus des adultes qui ont grimpé toutes les marches de la vie. Ils sont devenus ouvriers, avocats, maçons, docteurs, l’un d’eux Président des États-Unis. Certains sont devenus alcooliques.Quelques-uns schizophrènes. Certains ont grimpé l’échelle sociale du bas jusqu’au sommet, et d’autres ont fait le chemin dans l’autre sens.

04:34Les fondateurs de cette étude n’auraient jamais, même dans leurs rêves les plus fous, imaginé que je me tiendrais ici aujourd’hui, 75 ans plus tard, à vous raconter que cette étude est toujours en cours. Tous les deux ans, patiemment et méticuleusement, notre équipe de recherche appelle ces hommes et leur demande si on peut encore leur envoyer de nouvelles questions à propos de leur vie.

04:59Beaucoup des hommes des quartiers pauvres de Boston nous demandent : « Pourquoi continuez-vous à m’étudier ? Ma vie n’est pas si intéressante. » Les hommes d’Harvard ne posent jamais cette question.

05:10(Rires)

05:19Pour obtenir le portrait le plus précis de ces vies, nous ne faisons pas que leur envoyer des questionnaires. Nous les interviewons chez eux. Nous récupérons leurs dossiers médicaux chez leurs médecins. On prélève leur sang, on scanne leur cerveau, on parle à leurs enfants. On les filme en train de parler avec leurs femmes de leurs plus gros soucis. Et il y a environ 10 ans, quand on a finalement demandé à leurs femmes si elles voudraient prendre part à l’étude, beaucoup de ces femmes ont répondu : « Il était temps. »

05:49(Rires)

05:50Et donc qu’avons-nous appris ? Quelles sont les leçons qui ressortent des dizaines de milliers de pages d’informations que nous avons recueillies sur ces vies ? Eh bien, les leçons ne portent pas sur la richesse, ou la célébrité, ou le travail. Le message le plus évident que nous avons ressorti de cette étude de 75 ans est celui-ci : les bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure santé. C’est tout.

06:22Nous avons appris trois grandes leçons sur les relations. La première est que les connexions sociales sont très bonnes pour nous et que la solitude tue. Il s’avère que les personnes qui sont plus connectées socialement à leur famille, leurs amis, leur communauté, sont plus heureux, sont physiquement en meilleure santé, et vivent plus longtemps que ceux qui sont moins bien connectés. Et expérimenter la solitude apparaît être toxique. Les gens qui sont plus isolés des autres que ce qu’ils souhaiteraients’avèrent être moins heureux, leur santé décline plus tôt en milieu de vie, les capacités de leur cerveau déclinent plus vite, et ils ont des vies plus courtes que les gens qui ne sont pas seuls. Et le plus triste est qu’à tout moment, plus d’un Américain sur cinq déclare se sentir seul.

07:18Et on sait que l’on peut se sentir seul dans une foule et seul dans un couple, donc la deuxième leçon que nous avons apprise est que ce n’est pas seulement le nombre d’amis que vous avez, ou que vous soyez ou non engagé dans une relation, mais c’est la qualité de vos relations proches qui comptent. Il s’avère que vivre au milieu du conflit est très mauvais pour notre santé. Les mariages conflictuels par exemple, sans beaucoup d’affection, sont très mauvais pour notre santé, peut-être même plus que le divorce. Et vivre au milieu de bonnes, chaleureuses relations est protecteur.

07:56Une fois que nous avions suivi nos hommes au-delà de leurs 80 ans, nous avons voulu revenir sur leur cinquantaine et voir si nous pouvions prédire qui deviendrait un heureux et vigoureux octogénaire et qui ne le deviendrait pas. Et quand nous avons rassemblé tout ce que nous savions sur eux à l’âge de 50 ans, ce n’était pas leur taux de cholestérol à cet âge qui a prédit comment ils allaient vieillir. C’était leur niveau de qualité de leurs relations. Les gens qui étaient les plus satisfaits dans leurs relations à 50 ansétaient ceux en meilleure santé à 80 ans. Et les relations complices réussies semblent nous prévenir de quelques-uns des aléas du vieillissement. Nos couples d’hommes et de femmes les plus heureux ont rapporté, vers 80 ans, que les jours où la douleur physique était la plus forte, leur humeur restait tout aussi heureuse. Mais les gens qui étaient malheureux dans leurs relations, les jours où ils signalaient le plus de douleur physique, cela était aggravé par plus de douleur émotionnelle.

09:03Et la troisième grande leçon que nous avons retenue, à propos des relations et de notre santé, est que les bonnes relations ne font pas que protéger nos corps, elles protègent nos cerveaux. Il s’avère qu’être dans une relation solidement fixée avec une autre personne pendant vos 80 ans est protecteur, que les gens qui sont dans des relations où ils sentent vraiment qu’ils peuvent compter sur l’autre personne si besoin, la mémoire de ces gens reste aiguisée plus longtemps. Et les gens dans des relations où ils ne sentent pas pouvoir compter l’un sur l’autre, ces gens sont ceux qui ont expérimenté des déclins précoces de la mémoire. Et ces bonnes relations, elles n’ont pas à être lisses tout le temps. Certains de nos couples octogénaires pouvaient se disputer continuellement, mais tant qu’ils savaient pouvoir compter l’un sur l’autre en cas de coup dur, ces disputes n’avaient pas d’effets négatifs sur leurs mémoires.

10:00Donc, ce message, que les relations profondes sont bonnes pour notre santé et notre bien-être, cette sagesse est vieille comme le monde. Pourquoi est-ce si dur à comprendre et si facile à ignorer ? Eh bien, nous sommes humains. Ce qu’on aimerait, c’est une solution facile, quelque chose qu’on peut obtenirqui rendrait nos vies belles et les maintiendrait comme ça. Les relations sont désordonnées et compliquées, et le dur labeur de s’accrocher à la famille et aux amis, ce n’est ni sexy ni glamour. C’est aussi tout le long de la vie. Ça ne finit jamais. Les gens de notre étude sur 75 ans qui étaient les plus heureux dans la retraite étaient ceux qui ont activement travaillé à remplacer les collègues de travail par de nouveaux amis. Comme la génération Y dans ce récent sondage, beaucoup de nos hommes, quand ils étaient de jeunes adultes, croyaient vraiment que la célébrité, la richesse et le travail étaient ce qu’ils devaient poursuivre pour réussir leur vie. Mais encore et encore, pendant ces 75 ans, notre étude a montré que les gens qui s’en sont le mieux tirés étaient les gens qui ont compté sur les relations avec de la famille, des amis, des communautés.

11:20Et vous ? Disons que vous ayez 25, ou 40, ou 60 ans. A quoi ça peut ressembler finalement de favoriser les relations solides ?

11:30Eh bien, les possibilités sont pratiquement sans fin. Ça peut être quelque chose d’aussi simple queremplacer le temps d’écran par du temps avec les gens ou raviver une vieille relation en faisant quelque chose de nouveau ensemble, de longues promenades ou des soirées, ou rappeler ce membre de votre famille à qui vous n’avez pas parlé depuis des années, parce que toutes ces querelles familiales trop communes laissent une empreinte terrible sur les personnes qui s’en veulent l’une à l’autre.

12:03J’aimerais terminer sur une citation de Mark Twain. Il y a plus d’un siècle, il prenait du recul sur sa vie, et il a écrit ceci : « On n’a pas le temps, si brève est la vie, pour les chamailleries, les excuses, l’animosité, les appels à rendre des comptes. On n’a que le temps pour aimer et pas un instant de plus, pour ainsi dire, que pour ça. »

12:33Une belle vie est construite avec de belles relations.

12:38Merci.